C’est le cœur lourd que j’ai appris le décès d’un ami rencontré à la Réunion. Un de ces amis avec qui j’ai partagé des pique-niques sur la plage, des jours de l’an, des anniversaires et quelques départs de courses de trails. Guénolé avait 35 ans, plus jeune que moi et bien plus sportif aussi. Sa force de caractère m’impressionnait. Marié et père de trois enfants, il savait jongler entre la légèreté de nos soirées et la discipline d’une vie pleine de responsabilités. Il savait rire de lui-même et provoquait parfois des fous rires malgré lui, surtout le jour où il a porté à sa bouche une tâche qu’il pensait être du chocolat sur la jambe de sa fille en couche-culotte… alors qu’il en était tout autre !
Avec sérieux et assiduité, Il se rendait chaque jour au travail en vélo, un trajet que même notre petite voiture de l’époque souffrait de faire tellement le dénivelé était abrupt. Et le week-end venu, il pouvait s’aligner sur le départ d’une course aux parcours deux fois plus longs que les miens ! Son énergie, sa bonne humeur contagieuse et sa rigueur me plaisaient. Nous avions l’amour des sentiers réunionnais, le goût de l’effort et des défis en commun. Chacun à son niveau.
Nos sentiers respectifs se sont éloignés après notre départ de l’île. Cependant, j’ai gardé en moi toutes ces rencontres qui m’ont nourri ! Peut-être parce que nous nous construisions, sans le savoir, chacun une petite famille ou le cocon amical qui nous manquait dès lors et que les kilomètres avaient séparés. Malheureusement, au cours d’une randonnée dans la zone du volcan, Guénolé a fait une chute mortelle. Les sentiers qu’il arpentait avec passion l’ont gardé à tout jamais. Comme ça ! Comme si de rien n’était ! Comme si toute son expérience n’avait jamais compté ! Ironie du sort, Guénolé souhaitait devenir guide-accompagnateur en moyenne montagne. On a beau s’entraîner, checker la météo, prévoir le fond de sac, la nature reste imprévisible et le terrain peut réserver son lot de surprises (mauvais balisage, éboulis…). La Réunion reste une terre de pitons et de ravines avec toute la magnificence et les dangers qui l’accompagnent.
Sa disparition résonne d’autant plus fort en moi que, quasi à cette même période, l’an dernier, un autre ami s’est fait prendre par la grande faucheuse ! Olivier, lui, était un poil plus âgé que moi (46 ans). Nous nous étions rencontrés lors d’une sortie d’observation des papillons nocturnes.
Olivier, c’était un coup de foudre amical. Une amitié certes naissante, mais une complicité immédiate. C’était une personnalité avec qui je partageais tellement de points communs ! Simple, discret, à l’écoute, un peu philosophe, très curieux et touche-à-tout. Lui et sa femme, c’était un peu Céline et moi en à peine plus vieux et avancés dans la vie ! Ils nous motivaient, nous inspiraient. Nous avions le même goût des vieilles bâtisses de caractère (eux avaient trouvé leur havre de paix au bord de l’eau), chacun des projets de gîte dans la tête. Nous aimions tous les deux les choses de l’air et partagions le même attrait pour les cours de pilotage d’ULM au sein du même club. On aimait tous les deux la nature, la contemplation mais aussi et surtout on partageait une même passion pour les mots et l’écriture. La veille de son départ, je discutais encore avec lui d’ULM sur WhatsApp et le lendemain… il est tombé, net, au beau milieu de son jardin. Une crise cardiaque l’avait emporté ! Comme ça ! Comme si de rien n’était ! Comme si tout ce qu’il avait construit et entrepris avait disparu avec lui !
Ironie du sort, il avait vécu la période COVID en quasi autarcie, limitant les interactions sociales au minimum par peur de tomber malade. Nous étions les premiers à refranchir le pas de sa porte.
En repensant à la Réunion et aux amitiés qui ne sont plus, je suis obligé d’évoquer la mort d’un autre de mes meilleurs amis, peut-être le plus fidèle, sûrement le plus affectueux de tous. Safran, mon chien ! Notre chien à Céline et à moi. Je ne veux pas être maladroit ou paraître indélicat en parlant de lui maintenant. Je peux comprendre que pour certains cela peut paraître incongru de parler de la mort d’un animal à ce stade. Pour les autres, ceux qui me connaissent vraiment, vous savez les liens incroyables qui pouvaient nous unir tous les trois. Plus que de l’amitié, c’était de l’amour que je ressentais à son égard. Un an que Safran nous a quittés des suites d’une insuffisance rénale chronique. Un an que je n’arrive pas vraiment à trouver de mots suffisamment grands, beaux et forts pour réussir à vous décrire tout ce qu’il m’a offert et permis de vivre. Il était de toutes nos aventures, de tous nos sommets. Présent dans les meilleurs moments comme les plus difficiles.
Parmi mille souvenirs, je le revois encore à mon chevet dans notre appartement du Tampon. Son regard si expressif, sa présence si réconfortante et ce « sourire » naturel et enjôleur qui aurait fait craquer n’importe qui. Il semblait me veiller très sérieusement ! Moi qui ne pesais plus que 51 kg et marchais à grande peine après une opération chirurgicale due à ma propre maladie chronique. Un mal que j’aurais préféré ne jamais avoir en commun avec lui. Malade ou pas, monsieur avait besoin de faire ses sorties quotidiennes. Avec une patience incroyable, chaque jour, il m’a aidé, m’a forcé à me bouger. Les premiers jours, on descendait clopin-clopant seulement dans la cour de l’immeuble. Puis dans la rue, jusqu’au carrefour suivant, pour finir par réussir à faire le tour du quartier… etc. Autant de petites victoires partagée qui m’ont redonné confiance ! Je lui dois une partie de ma convalescence. Safran, j’ai pu l’accompagner jusqu’au bout, être présent pour lui jusqu’à la fin. Il s’en est allé en un soupir ! Comme ça ! Comme si plus rien n’était désormais ! Comme si tout ce qu’il m’avait apporté jusque-là ne comptait plus ! Ironie du sort, nous qui l’avions sauvé d’une euthanasie programmée, avons dû prendre la terrible décision de mettre un terme à ses souffrances. Il a fallu assumer cet acte. L’accompagner dans ce funeste moment a-t-il rendu ma peine moins douloureuse ? Absolument pas ! Est-ce que j’ai regretté d’avoir été là à ses côtés, à son chevet ? Pas du tout, c’était le minimum que je puisse faire, par respect et amour pour lui.
Il y a t-il une « bonne » ou une « mauvaise » façon de mourir ?
Est-il préférable de mourir en pratiquant sa passion,
de se lever un matin et se faire foudroyer net,
de mourir par choix ou simplement de vieillesse ?
De rendre l’âme seul ou en compagnie ?
Je n’ai aucune réponse à vous offrir. Jusqu’ici, je n’ai jamais eu peur de la mort. L’insouciance et l’arrogance de la jeunesse, me direz-vous ! Sauf que, comme tout le monde, je prends de l’âge et je commence à comptabiliser les pertes de ceux partis trop tôt et qu’on aurait voulu garder plus longtemps. Vieillir, c’est donc cela ? Espérer passer entre les gouttes. Essayer à chaque instant de prendre les décisions adéquates pour rester du bon côté de la lumière ? Subir une peine incommensurable à chaque disparition ? La vie est une chose subtile et capricieuse qui nous maintient en permanence sur un fil invisible, en équilibre instable au-dessus d’un précipice de possibilités.
On a beau entreprendre 100 fois la même tâche, 99 % du temps ça passera ! Et parfois, à la centième, sans qu’on s’y attende vraiment, l’équilibre se rompt et c’est la descente aux enfers ! On oublie de regarder avant de traverser, on décide de mettre un pied sur cette pierre plutôt que ce rocher, on n’écoute pas la douleur inhabituelle, on ne voit pas le mauvais gravier sur la route. Maudit facteur humain : une prise de décision (ou de non-décision) qui, comme un domino, peut entraîner avec lui un tas de réactions en chaîne plus ou moins désirées. Pour toutes ces raisons, je me garde de juger les actions des autres. On n’est pas avec eux sur le terrain, ni dans leur tête, on ne vit pas le même stress et surtout personne ne positionne son curseur de risque ou d’exposition aux aléas au même niveau. Qu’importe l’âge, qu’importe l’activité, qu’importe l’endroit, nul n’est à l’abri de rien !
Que faire face au risque alors ? Faut-il l’éviter à tout prix ou s’en approcher pour mieux le maîtriser ? Où se situe le point de bascule ? Tout est souvent question de dosage, d’expérience, de probabilité et même parfois de chance (même si je ne conseille à personne de compter uniquement sur elle !) De façon générale, nous vivons dans une société qui voudrait tout contrôler, tout aseptiser, ne laisser aucune place aux doutes et effacer le danger avant même qu’il ne survienne. C’est oublier que vivre est un risque permanent et que les grandes avancées sont souvent advenues de personnes qui ont tutoyé les limites. Pour ma part, j’ai plus peur des conséquences de ma propre mort sur mon entourage… que de la mort elle-même ! C’est bien connu : la mort, c’est plus difficile pour ceux qui restent !
Je me questionne enfin sur mon penchant naturel pour les activités qui, même si elles ne sont pas toujours synonymes de danger, demandent une certaine forme d’engagement. Si je m’écoutais vraiment, je ferais du parapente, du deltaplane, du parachutisme, du base jump, de l’alpinisme, de l’apnée, de la moto… Je referais du paramoteur et reprendrais mes cours de pilotage. Pour certains, ce sont des activités de trompe-la-mort, pour d’autres juste un quotidien. Un quotidien exigeant, certes, qui requiert des compétences, des connaissances pointues et une gestion rigoureuse de ce fameux facteur humain. J’adore ces activités qui vous forcent à vivre pleinement l’instant présent, à être totalement concentré et qui procurent, en prime, une montée d’adrénaline. Qu’est-ce que tout cela dit de moi ? Même si je n’ai pas les moyens financiers de toutes mes aspirations, est-ce vraiment là mon seul obstacle ? Je n’en suis pas certain. Il y a toujours cette petite voix en moi qui me rappelle à ma propre fragilité. Parfois, je l’écoute et elle me freine, parfois je fais la sourde oreille et je passe outre ! C’est une bataille intérieure permanente.
En fin de compte, l’activité la plus extrême que je pratique n’est-elle pas celle de l’écriture ? Dévoiler mes sentiments, tenter de comprendre et disséquer mes émotions, me mettre à nu pour susciter la réflexion. Peut-être que chercher les mots là où ils me font parfois défaut est une manière de conjurer le sort, de libérer le trop-plein qui bouillonne en moi. En tout cas, c’est sûrement ma façon à moi de pleurer et de rendre hommage.
Tout cela pour dire qu’Olivier, Guénolé et Safran, ça pourrait être vous, ça pourrait être votre conjoint, votre ami, ou même votre chien. Ça pourrait aussi très bien être moi.
Alors vivons avec audace car le temps imparti est limité. Gardons à l’esprit que la véritable grandeur d’une vie ne réside pas dans le simple décompte des années, mais qu’elle se love dans la profondeur des expériences vécues, dans la passion et l’envie que nous investissons dans chacune de nos actions. Avançons avec une détermination farouche, car c’est ce chemin-là qui fait de nous des êtres vivants !
À Guénolé, Marie et leurs enfants
À leur famille et à tous nos ami(e)s en commun
À Olivier et Bethsy.
À Safran, ma parenthèse d’éternité
À vous tous qui entretenez un rêve
À tous ceux qui les vivent
À tous ceux qui n’ont pas eu le temps de les exaucer
Et À tous ceux qui sont morts pour eux
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